Père absent. Marraine : Jeanne GINESTY de Sanhiet (Cassuéjouls) |
Un cantalien à Paris (les trains Bonnet - 1929) Le front collé à lavitre humide du compartiment, Léon regardait défiler les poteaux télégraphiques, en essayant de se remémorer les vieux problèmes du Certificat d’Etudes : « sachant que deux poteaux sont espacés de cinquante mètres, et que l’on compte trois secondes entre deux poteaux, le train roule à la vitesse de … 60 kms à l’heure. En cette fin du mois d’août1929, il regardait sans voir, le paysage défiler sous ses yeux. Ce temps de congé au pays, s’était déroulé tellement vite. Il se remémoraitpour la énième fois son voyage vers le pays. C’était sa première année de travail à Paris. L’éloignement avait pesé trop lourd. Le temps des moissons venant, il savait qu’on comptait un peu sur lui à la fermefamiliale de Prunet. Il ne pouvait pas ne pas en être, et il avait demandé son moisde congé à son patron. Léon avait entendu dire par des compatriotes, que le journal régional « L’ Auvergnat de Paris », qui siégeait dans la capitale, avait obtenu des compagnies de chemin de fer privées, des billets à prix réduit pour ceux qui descendaient au pays.Il n’était pas très fortuné et cela lui convenait bien. « L’Auvergnatde Paris » était un journal qui avait été fondé en 1882, par Louis Bonnet, un auvergnat parisien natif de Vic sur Cère, dans le Cantal. Implanté à Paris, boulevard Beaumarchais, quartier de la Bastille, aux limites des 11ème et 12èmearrondissements, il se trouvait au cœur de lacolonie auvergnate émigrée. Le but du journal était de maintenir un lien entre la solitude de ces émigrants expatriés, et le pays auquel ilsétaient tant attachés .Ils y trouvaient des nouvelles locales, et uncertain soutien moral et domestique. Car Louis Bonnet offrait plus que des nouvelles régionales. Militant socialiste actif, il avait avantl’heure, créé au travers de son hebdomadaire, un véritable bureau d’aide sociale pour ses compatriotes, proposant des consultations juridiques, une aide dans les contentieux, des assurances, un comptoir de vente de linge domestique, des réductions chez certains commerçants, médecins et dentistes. C’était un organe régional sans équivalent. Très vite, Louis Bonnet comprit l’urgence de favoriser, à bon marché, les visites au pays, de ces parisiens par nécessité. Pour soutenir leur moral, d’abord, mais aussi parce que cette colonie auvergnaterisquait de secouper définitivement de ses origines, entraînant l’érosion de lésprit corporatif des auvergnats de Paris. Les transports ferroviaires separtageaient entre Compagnies privées, dont entre autres, la Compagnie Paris/Lyon/Marseille, reliant Paris Gare de Lyon au Midi, en passantpar Clermont Ferrand, et la Compagnie d’Orléans, reliant Paris Gare d’Austerlitz au Midi, en passant par Limoges et Brive. Le journal regroupait non seulement les originaires des départements d’Auvergne, maisaussi ceux du Lot, de l’Aveyron et du Tarn. Fort de cette représentation, Louis Bonnet avait obtenu de ces deux Compagnies, des conditionstrès particulières : 40 % de réduction sur les billets, et 30 kilos debagages possibles (ce qui était très apprécié pour le retour sur Paris ! ). A dates fixées d’avance, ces transports spéciaux réservés auxauvergnats, desservaient en direct, aller et retour, l’Auvergne par Clermont et Aurillac, l’Aveyron par Rodez, l’Aubrac par St Flour, et descendaient jusque sur Albi. C’était des trainsde nuit, qui une fois auxportes de la région, s’arrêtaient dans chaque commune traversée. On comptait ainsi 31 arrêts, entre Bort les Orgues et Vézac … Ces trainsétaient devenus si populaires qu’ils furent vite surnommés « les trains Bonnet ». Les dates et horaires étaient annoncés dans le journal auvergnat. Son patron ne semblait pas en tirer un profit financier particulier, mais son esprit social était pour beaucoup dans cette initiative, qui de plus, flattait une vanité réelle. Louis Bonnet ne manqua pas d’utiliser à des fins politiques, les retombées bien méritées, de cette réussite. Quelques critiques ne manquèrent pas de naître cependant, auprès des candidats au voyage : certains ne comprenaient pas pourquoi ils devaient accepter tel itinéraire, plutôt que d’arriver directement chez eux, d’autres auraient préféré une autre Compagnie. Un compatriote demanda un jour, si les trains spéciaux avaient un fourgon pourles chiens ; la Compagnie l’accorda, mais sans réduction ! Il va sans dire que ces voyages n’offraient que des wagons de deuxième et troisième classe. Mais pourrait-on penser que des auvergnats estiment justifié de faire la dépense d’une première, que d’ailleurs leur conditionsociale ne leur permettait pas ? A la date annoncée, Léon s’était donc rendu au journal, boulevard Beaumarchais, sans trop savoir. Il y avait un chahut indescriptible. Léscalier était envahi, le bureau prisd’assaut. des vitres avaient été cassées et avec le personnel, le concierge avait été molesté. 4000 billets avaient été vendus dans la saison. Il y avait plus de demandes que de possibilité, et l’annonce au dernier moment, des horaires, ne facilitait pas une réservation plus digne. Il était parvenu à se frayer un passage et maintenir sa place à grand peine. Il ressortit fort tard, plutôt froissé, mais le billet en poche, il l’avait payé 230 francs en aller et retour de troisième classe. Encore lui avait-il fallut montrer sa carte d’identité et son certificat de travail, car la fraude allait bon train (elle aussi !) etdesnon régionaux achetaient parfois des billets qu’ils revendaient avec un profit substantiel. Léon se revoyait dans le tohu bohu de la gare d’Austerlitz. Le quai était investi par les compatriotes qui faisaientgrand bruit, sous le regard réprobateur des autres voyageurs, qui avaient cependant grand mal à cacher leur curiosité. Ca criait, ça courait, ça bourdonnait, ça se prenait les pieds dans les paquets, croulant sous les baluchons et les victuailles. Le patois se mêlait au français,et l’on avait déjà un avant goût du pays natal. Il finit par repérerson wagon : peint noir et vert, avec un marchepied tout du long d’uneseule pièce, de longues poignées en cuivre aux portières marquées d’un III doré distinguant la classe. Les marches étaient hautes et les portières lourdes et bardées de serrures de sûreté, il fallait se hisserà l’intérieur. Il n’y avait pas de compartiments. Seules les banquettes, dos à dos, séparaient des groupes de quatre. Le dossier était enbois, la banquette et l’appui têtes, en moleskine . Les portes bagagescommuniquaient, au dessus des banquettes, et des valises enfoncées unpeu trop violemment, ne manquaient pas de basculer de l’autre côté, en retombant de quelques kilos, sur le voyageur opposé. Les protestations en auvergnat, étaient particulièrement rudes pour le maladroit ! Aucentre du plancher, sous une plaque métallique, circulait le chauffage, généralement froid ou brûlant. Une énorme ceinture de cuir, permettait de monter ou descendre les vitres. Le journal payait deux musiciens par voyage, joueurs de cabrette. En attendant le départ, ils se déchaînaient pour faire danser les plus jeunes. Plus tard, tout au long du voyage, durant les longs arrêts nécessaires à la reconstitution despleins déau et de charbon, ils remettraient ça sur le quai, parfois dans la nuit … Le train avait eu du mal à partir, tellement il était long. Il s’ébranla lourdement chargé, les portières claquèrent, les chapeaux et les mouchoirs s’agitèrent. Sur les quais, les parisiens étaient ébahis, les employés de la Compagnie plus encore : ils n’avaient jamais rien vu de pareil. De Paris à Aurillac, ce ne fut que chants, rires, et propos égrillards. Pas d’autres arrêts que ceux nécessaires pour refaire de léau pour la machine, tandis que les voyageurs en profitaient pour descendre et faire le contraire… Une fois arrivé au pays,le train s’arrêtait dans chaque commune traversée. Ceux qui descendaient, un peu engourdis, était alors partagés entre le regret de quitterles amis du voyage, et léxcitation de respirer l’air du pays et de retrouver les siens. Les bagages étaient passés par les fenêtres, avecl’aide de ceux qui restaient. Ceux là, poursuivant leur chemin, avaient maintenant les vitres ouvertes. Nez au vent, le visage cinglé par le froid du matin, bravant les escarbilles, ils profitaient des courbesde la voie, pour regarder la machine s’époumoner toutes bielles en action. Parfois un paysan soulevait son chapeau pour répondre au salut des voyageurs. L’air vif de la montagne chassait les miasmes de la nuit, la chaleur humaine et les relents des détritus jonchant le plancher. Beaucoup de voyageurs descendaient à Aurillac, mais peu étaient de la ville, et comme Léon, ils se répandaient en hâte hors de la gare, pour trouver place dans les autocars et poursuivre leur voyage jusqu’à Montsalvy, Entraygues, Mur de Barrez ou Laguiole. Léon sortit de sa rêverie. Tout ça cést du passé. Il est dans le train du retour et on nepeut pas dire que l’ambiance est aussi joyeuse. Après avoir longuement et soigneusement roulé sa cigarette, il mouilla le papier maïs dansun aller retour de la langue, et l’alluma, la tête penchée et les yeuxmi clos, pour éviter la longue flamme du briquet (les auvergnats ontle sourcil broussailleux !). Dete et existence relevées dans l'acte de décès. |
Ces pages ont été fabriquées avec le logiciel Oxy-Gen version 1.38c, le 29/01/2013. Vous pouvez le télécharger sur ce site.